Ce matin là, en Jamaïque, nous nous sommes difficilement retenus de rire.
Nous achevions un reportage pour le quotidien Ouest-France sur le trentième anniversaire de la mort du plus célèbre rasta, décédé le 11 mai 1981.
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Nous avions déjà visité le musée Bob Marley, un lieu pensé pour ses fans.
Nous avions rencontré des musiciens reggae à son studio d’enregistrement Tuff Gong.
Nous avions parcouru son quartier de Kingston, « Trench Town », le ghetto où il commença à jouer de la guitare avec Peter Tosh et Bunny Wailer.
Nous avions aussi assisté à une « grounation », cette célébration rasta au rythme de tambours traditionnels Nyabinghi commémorant la venue d’Hailé Sélassié dans l’île en avril 1966. Pas la peine d’y amener sa ganja : respirer au milieu de l’assemblée dansant d’un pied sur l’autre, chalices en main, suffit à se rapprocher de Jah !
Ce matin là, donc, nous venions de marcher deux kilomètres sur un chemin de terre à travers un quartier sauvage construit sur des terrains squattés (le guide « Lonely Planet » conseille de ne le franchir qu’accompagner de la police !) Nous étions, bien sur, arrivés saufs et non délestés de notre matériel de travail, devant une grande palissade verte, jaune et rouge perchée en haut d’une colline face à la mer. C’est là que nous avons frappé.
Un brother Bobo Shanti, aux dread-locks enroulées dans un turban, est venu nous ouvrir. Dix minutes plus tard, il nous donnait gentiment l’autorisation de pénétrer dans cette communauté rasta radicalement « roots » où la vie et l’organisation semblent monastiques.
Le règlement y est strict. Les femmes doivent porter une jupe et se couvrir les cheveux. Elles restent à l’écart des hommes pendant 21 jours après leurs menstruations.
Comme d’habitude, j’étais en pantalon et ne me souvenais que vaguement de la date de mes dernières règles. Alors à la sister « empress » qui me tendait une jupe en me questionnant, j’ai dit une date aléatoire, qui m’a tout de même permis d’accéder au hall d’accueil. Engoncée dans ce long tube étroit enfilé par dessus mon pantalon, la tête couverte de mon grand foulard éthiopien, je marchais à pas de fourmis et j’ai manqué à plusieurs reprises de trébucher sur les marches d’accès à la case verte, jaune et rouge. Mais ce n’est pas cette scène qui a failli nous faire pouffer. C’est la suivante…
Une fois dans le hall, la sister a dit : « Maintenant il faut prier ! ». Elle nous a placés comme il convient. Pour les femmes, la main gauche sur le sein droit, à l’opposé de l’emplacement du cœur. Pour les hommes, les deux mains jointes par le bout des doigts, formant un losange.
Alors, nous avons fermé les yeux et marmonné une litanie volontairement incompréhensible.
« Pas comme ça ! a répliqué la sister. Ici, on prie les yeux ouverts et à voix haute ! »
On s’est regardé. Et on a tenté : « Euh… Jah is love… and...euh... Jah is great… He gives us bread every day ! ».
Nos aimables hôtes Bobo Shanti aussi ont du se retenir de rire.