Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 août 2008 4 21 /08 /août /2008 01:48

C’est ce que nous a dit le capitaine de ce petit port de pêche marocain en grinçant des dents. Car, ici, il n’y a rien à facturer, ni eau, ni électricité et visiblement cela le fait rager.

 

Une trentaine de barques et quelques petits sardiniers pêchant au lamparo sont amarrés derrière une digue à peine protégée des vents de Nord Est. Quand ils soufflent fort, les vagues déferlent dans le chenal d’entrée l’ensablant encore plus. Les feux rouge et vert marquant cette entrée délicate pour un quillard sont en panne. Le phare qui surplombe le cap aussi. Bref, c’est un port très très gratuit où nous avons passé trois semaines jusqu’au 8 août. Une escale studieuse à écrire des articles, à légender des photos, à mettre en cause les conditions de travail des ouvriers agricoles dans les fermes du roi au nez des vedettes de la marine royale amarrées sur le même quai.

 

L’une des barques du port appartient à un Français portant un nom digne d’un personnage de BD. Une fois nos ordinateurs éteints, nous passons notre temps à discuter avec lui. Pour préserver sa vie privée nous l’appellerons Gaston. Cinquantenaire, ex patron d’une PME, il a tout vendu, tout plaqué, après un infarctus. « Trop de stress », explique-t-il. Gaston est venu s’installer ici, où il a fini par se marier. Il pêche maintenant en mer avec son beau-père. En se mariant avec une marocaine du bled, il a, par la même, épousé sa famille. « La moitié des gens du village sont des cousins ! », rigole-t-il.

 

 

 

Comme Gaston a sa réputation à préserver dans ce petit univers clos, nous lui servons un breuvage rouge raisin dans des verres en inox, en poussant parfois le bouchon un peu plus loin : nous posons la théière au milieu de la table de cockpit où les gâteaux d’apéro prennent une allure de biscuits anglais aux yeux des passants, éventuels cousins.

 

Si personne, officiellement, ne boit d’alcool dans ce port et qu’aucun bar, aucune épicerie n’en vend effectivement, en revanche, les odeurs de haschich émanent des terrasses de café le soir. Le Rif, premier producteur mondial de kif, tapisse le paysage de fond. Sur une rivière voisine, sont amarrés de grands zodiacs rapides. En mer, à l’aube, Basta en a déjà croisé, de couleur foncée, avec des équipages habillés de noir, naviguant sans feux, à plusieurs dizaines de nœuds. Ils larguent en route leurs bidons d’essence dès qu’ils sont vides. Dans ces eaux, on en trouve souvent à la dérive.

 

Le gasoil ne vaut que 40 centimes d’euros. C’est du carburant de contre-bande qui vient tout droit d’Algérie, à une trentaine de kilomètres de là. D’ailleurs, il n’y a plus de station service. Elles ont toutes fermé concurrencées par les contrebandiers. Gaston nous en a présenté. Nous avons fait le plein.

 

Chaque jour, il nous conte un morceau de vie de sa nouvelle société. Notre regard sur le Maroc, ici, transite par l’expérience insolite de cet homme attachant.

 

Un jour, la grand-mère de sa femme est morte, celle qui vivait dans la montagne. « Ben, faut pas tomber dans le coma ! », a lancé Gaston s’apprêtant à embarquer une douzaine de membres du clan dans sa Kangoo pour l’enterrement. Décédée à 13 heures, la vieille était entérée à 16 heures après qu’un imam de la mosquée ait taté son poul. Un autre jour, un cousin déjà marié a présenté sa nouvelle fiancée à la famille. Gaston s’étonnait d’être le seul à faire la gueule. « Si c’est ça, moi aussi je vais prendre une seconde femme ! », tentait-il, provoquant sa belle-famille impassible. Gaston se confronte à son intégration remettant en question ses anciennes certitudes sous nos yeux. Débordé par le doute de ses choix, il vacille parfois, craignant de s’être de nouveau aliéné. Mais de quelle liberté parle-t-il ? De celle de ces deux quinqua européens de l’Est expatriés dans ce bled ?

 

Nous débarquons chez eux un soir, par hasard. Ils nous présentent deux subsahariennes aux corps d’athlètes. Elles ont vingt ans. « Des élèves ! », prétendent-ils bien que cela soit difficile à croire dans cette ambiance houellebecquienne où des mains effleurent des fesses. Ils boivent verre sur verre, resservant leurs hôtes après chaque gorgée à peine ingurgitée. La télévision bloquée sur un canal « nostalgie » diffuse de vieilles émissions de variété de Drucker à tue tête. Il faut, pour s’entendre, crier plus fort que Mireille Mathieu. Ce qui est impossible. Ces deux là se sentent libres, d’autant qu’ils n’ont même pas à payer. Les critiquer c’est faire preuve d’une morale du XIXème siècle, parait-il. « Elles sont majeurs, non ? »

 

Et nous pensons à Gaston, à sa liberté, à son choix de se marier qui semble alors si moderne, même si parfois nous avons du mal à l’en persuader.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

BASTA est en Bretagne...

Après 63 jours de mer depuis le Panama, Basta flotte sur la Vilaine.

Nous retapons dans le Morbihan une micro-ferme : https://microferme-bastardiere.fr/

Nous y accueillons désormais des Wwoofeurs. Venez nous aider contre gite et couverts !

https://wwoof.fr/host/6386-La-Bastardiere

Rechercher

A propos des auteurs

Pour connaître notre démarche,  lisez ça !

 

Consultez nos articles de presse ou podcaster nos reportages radio  : https://cecileraimbeau.wordpress.com/

 

Découvrez notre premier périple de jeunesse sur notre voilier de 6m50 le "Bourlingueur", relaté dans deux numéros de Voiles et Voiliers de 1995 ici et .

Archives

Contacts :

bateaubasta@gmail.com

Facebook-messenger : Cecilia Bastarde

Rubriques