Au départ, en Turquie, nous enquêtions sur la filière du coton biologique. Un travail que nous n’avons pas encore achevé.
Du coton bio en Turquie, cela vous étonne ? Et bien oui : le pays était le premier producteur mondial de coton biologique il y a un an, avant de se faire doubler par l’Inde et la Syrie.
Du coton bio en Syrie ?? Bon, là c’est vrai que c’est de plus en plus étonnant.
Mais bon. Pourquoi pas. Disons donc qu’au pays de Bachar el Assad, on se préoccupe beaucoup d’écologie…
Bref, c’était déjà un peu louche. Puis, nous avons rencontré une jeune universitaire achevant une longue enquête sur les cotonniers turcs pour sa thèse. « Le coton bio en Turquie, c’est de la foutaise ! », nous a-t-elle dit. C’est simple, elle avait rencontré des centaines de cotonniers, et jamais vu un seul faire du bio, ni même parlé à un qui connaissait un collègue faisant du bio… De notre côté, nous n’en avions trouvé que deux, présentés par des industriels. Isolés, entourés l’un et l’autre de champs de tabac (rarement bio)…
Nous étions partis en bus dans la région d’Izmir et remontions sur Istanbul, de rendez-vous en rendez-vous. Vers Bursa, nous avons fait la connaissance d’Arca, l’une de ces belles rencontres que l’on fait parfois en reportage. Arca est l’animateur et le porte-parole de la Plate-forme anti-OGM turque.
Après nous avoir fait goûter les meilleurs mets du coin, de la viande aux poissons, il nous a présenté son ami musicien qui nous a hébergé pour la nuit. Hormis la musique, celui-ci a un talent exceptionnel : il parle un excellent yogourt français, cette langue qui sonne à son oreille comme le français, mais qui ne veut rien dire…Absolument rien…
Arrivés à Istanbul -à peine le temps de s’offrir un Bosphore tour en bateau- une rencontre syndicale nous a projeté dans un autre sujet.
En Turquie, en effet, la mode fait de vraies fashion victims : les milliers d’ouvriers qui sablaient les jeans pour leur donner l’aspect usé, tendance en Europe, n’endommageaient pas que la toile de denim, mais aussi leurs poumons.
Dans ce pays, le sablage a été employé sur la toile de denim dès les années 1990. La technique s’est répandue en 2000 à mesure que la mode des jeans « usés » devenait tendance en Europe. Afin de leur donner un aspect délavé ou usagé prématurément et irrégulièrement, le sablage est en effet plus efficace que le délavage chimique à l’effet trop homogène et moins coûteux que la technologie récente du laser. S’il existe du matériel de sablage sécurisé sur le marché, poussés par leurs clients européens (les grandes marques de fringues), les employeurs turcs ont préféré faire des économies plutôt que de l’acheter et utiliser, sans protection, du sable de plage riche en silice très nocif. Voici le témoignage d’un des milliers d’ouvriers aujourd’hui atteint de la silicose, une maladie pulmonaire incurable et mortelle : «J’étais debout dans une cabine de 4 mètres carré, tenant une lance reliée à un compresseur réglé à 8 bars. Un collègue me faisait passer un à un des blue-jeans sur lesquels je projetais du sable. A côté, il y avait un réservoir de 600 kilos de sable. Au bout d’une heure et demi, quand il était vide, je disposais d’un quart d’heure de pause, le temps que le collègue le recharge. La cabine était alors si poussiéreuse que je n’y voyais plus rien et j’en sortais méconnaissable. Puis ça recommençait, pendant 12 heures par jour »…
Peu de temps après être revenus au bateau, nous sommes retournés une seconde fois à Istanbul, en bus, depuis Marmaris. Pour fouiller ce sujet. Rencontrer d’autres ouvriers condamnés à mort à cause de la mode.
Ensuite, il a fallu caréner le bateau et en profiter pour réparer les dégâts causés par les icebergs des canaux français (lire les articles du blog de l’hiver 2007 ) : 15 jours de travaux sans relâche, par 40°.On se serait bien passé de notre pote un peu collant, le pélican. Caréner avec un pélican, c’est un peu comme tapisser un appartement avec un enfant de 3 ans assez turbulent : il met tout à la bouche…
Rythme effréné, toujours. A peine ces travaux terminés, Basta a mis le cap sur la Crète.
N & N, nos amis du Mans, devaient nous y rejoindre pour les vacances. Et nous avions un autre reportage prévu.
Belles vagues. Vent frais. Nous sommes arrivés juste à temps… c’était la première semaine d’août.